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NASRI CHELBI & Les Femmes Voilées
7 février 2008

se voiler est obligatoire?

L'islam a-t-il rendu obligatoire pour la musulmane de se voiler le visage ?

Question :

Parlez-nous du voile du visage et du port des gants pour la musulmane. Est-ce une obligation, comme le disent certains musulmans ?

Réponse :

La question que vous posez repose sur le fait de délimiter ce que désignent les termes "ce qui en paraît" dans le verset coranique "Qu'elles ne montrent de leurs parures que ce qui en paraît" (24/30). Comprendre un verset du Coran se fait par référence d'abord à d'autres versets du Coran, puis aux Hadîths du Prophète. Cependant, les autres versets coraniques n'explicitent pas ces termes "ce qui en paraît". Et il y a certes un Hadîth qui se rapportent au même sujet – celui rapporté par Asmâ' bint Abî Bakr –, mais il n'est pas authentique. Les savants ont donc eu recours à deux autres méthodes pour comprendre ce que Dieu entendait par les mots "ce qui en paraît" :
Méthode 1 : ils se sont référés aux explications de ces termes fournies par les savants des premiers siècles de l'islam (les Compagnons, leurs élèves et ainsi de suite),
Méthode 2 : ils se sont référés à la façon par laquelle les musulmanes du temps du Prophète ont mis en pratique ce verset.

  • La méthode 1 offre les commentaires suivants :
    - il y a le commentaire de Ibn Mas'ûd, qui dit que "ce qui en paraît" désigne seulement l'aspect extérieur des vêtements que la femme porte,
    - il y a le commentaire Ibn Abbâs, de Mujâhid, de al-Hassan, de adh-Dhahhâk, et d'autres, selon qui ces termes désignent le visage et les mains,
    - il y a le commentaire de Aïcha, qui est d'avis que ces termes désignent le visage, les mains et les pieds.

    La méthode 2, elle, montre plusieurs choses :
    - en ce qui concerne les mains, des musulmanes laissaient leurs mains découvertes devant le Prophète. En effet, le Prophète avait dit à une musulmane : "Etant une femme, tu devrais te teindre les ongles avec du henné" (rapporté par An-Nassaï, n° 4712). Ceci signifie bien que les mains de cette femme étaient découvertes devant le Prophète, et que les mains ne font pas partie de ce que la femme doit recouvrir en présence d'hommes autres que son mari et ses proches parents (mahârim). Je suis donc de l'avis de ceux des savants qui, se basant sur ce texte et d'autres, pensent que le port des gants n'est pas obligatoire pour la musulmane.
    - en ce qui concerne le visage, nous allons voir ci-après ce que les musulmanes faisaient dans l'entourage du Prophète…


    Le voile du visage à l'époque du Prophète (sur lui la paix) :

    Le voile du visage de la femme est mentionné dans les sources musulmanes (il n'est donc pas bid'a). En effet, les recueils de Hadîths mentionnent le port de ce voile du visage (appelé parfois niqâb) par des musulmanes à l'époque du Prophète. Ainsi, Aïcha, épouse du Prophète, raconte lors du récit de la calomnie : "Alors que j'étais ainsi assise, je fus gagnée par le sommeil et m'endormis. Pendant ce temps, Safwân ibn Al-Mu'attal, qui restait en retrait par rapport à l'armée, s'était mis en route dans la dernière partie de la nuit. Il arriva près de l'endroit où je me trouvais au petit matin. Il vit une forme humaine allongée et s'approcha. Il me reconnut car il avait vu mon visage avant l'obligation du voile sur celui-ci. Il prononça alors la formule de l'istirjâ' [formule que l'on dit en cas de malheur]. Je fus réveillée au son de cette formule. Je cachai alors immédiatement mon visage par le moyen de mon voile" (rapporté par al-Bukhârî). Anas relate également comment le Prophète fit porter à sa femme Safiyya, récemment épousée, le voile sur le visage (rapporté par al-Bukhârî et Muslim). Asmâ bint Abî Bakr raconte pour sa part : "Nous dissimulions nos visages par rapport aux hommes [autres que mari et parents proches] en état de sacralisation pour le pèlerinage (ihrâm)" (rapporté par al-Hâkim, sahîh 'alâ sharti Muslim d'après al-Albânî). Aïcha raconte également à ce sujet : "Il arrivait que de gens passent près de nous alors que nous étions en état de sacralisation en compagnie du Prophète. Lorsqu'ils arrivaient à hauteur de l'endroit où nous nous trouvions, nous suspendions (sadl) notre voile par devant notre visage. Et lorsqu'ils s'éloignaient, nous le relevions" (rapporté par Abû Dâoûd, hassan bish-shawâhid d'après al-Albânî).


    Le voile de tout le corps mais pas du visage à l'époque du Prophète :

    D'autres textes existent cependant qui montrent qu'à l'époque même du Prophète et devant lui, des musulmanes se couvraient la chevelure et le corps, mais pas le visage.

    Ainsi, un jour de 'Eîd, le Prophète était allé refaire un discours pour les femmes qui n'avaient pas pu entendre celui prononcé immédiatement après la prière (salât ul 'eîd). A un moment donné, raconte Jâbir, "une femme se leva du milieu des autres femmes ; ses joues étaient rembrunies ("saf'â' ul khaddayn"). Elle questionna le Prophète..." (rapporté par Muslim). Si le transmetteur a vu que les joues de cette femme étaient rembrunies, cela veut dire qu'elle ne portait pas de voile sur son visage.
    De même, pendant le pèlerinage en l'an 10 de l'hégire, lors de la journée du sacrifice à Minâ, le Prophète s'était installé sur sa monture pour répondre aux questions que les gens venaient lui poser. Il avait pris en croupe derrière lui son cousin, le jeune Al-Fadhl ibn Abbâs. Une femme khath'amite vint poser au Prophète une question à propos de son père âgé. "La beauté de cette femme plut alors à al-Fadhl" raconte le transmetteur. "Et le Prophète détourna le visage de al-Fadhl de l'autre côté" (rapporté par al-Bukhârî).

    Cette dernière anecdote, qui s'est passée peu avant la mort du Prophète, prouve deux choses :

  • Premièrement que cette femme ne portait pas le voile du visage. Il est vrai, comme on pourrait l'objecter, que le Prophète a interdit aux femmes de se couvrir le visage en état de sacralisation (ihrâm) lors du pèlerinage (rapporté par Al-Bukhârî). Cependant, certains savants sont d'avis que cette femme khath'amite n'était plus en état de sacralisation quand elle posa sa question. D'autres savants, certes, prouvent qu'elle était toujours en état de sacralisation au moment de sa question. Cependant, même alors, si le voile sur le visage était obligatoire de façon générale, le Prophète lui aurait ordonné de dissimuler son visage, exactement comme le faisaient Aïcha bint Abî Bakr et Asmâ' bint Abî Bakr : comme nous l'avons rapporté plus haut, ces deux femmes suspendaient (sadl) leur voile par devant leur visage dès que des hommes passaient près d'elles.
    Ceci a amené des savants musulmans comme at-Tahâwî, al-Qâdhî 'Iyâdh, Ibn Battâl à expliquer que le port du voile du visage était obligatoire pour les épouses du Prophète, mais ne l'est pas pour les autres musulmanes. Pour ces dernières, devant tout homme qui n'est ni leur mari, ni leur proche parent (avec qui elles ne peuvent jamais se marier), il n'est pas obligatoire de se couvrir le visage et les mains.
  • La deuxième chose que le récit de la femme khath'amite prouve, c'est que s'il n'est effectivement pas obligatoire à la femme de se couvrir le visage en public, un homme ne peut regarder le visage d'une femme que s'il n'éprouve pas d'attirance (shahwa). Au cas contraire, s'il éprouve au fond de lui une attirance (shahwa, désir), il lui est interdit de regarder le visage d'une femme (autre que son épouse). C'est bien pourquoi le Prophète détourna le visage de Al-Fadhl, dont il voyait bien que le regard vers le visage de cette femme n'était pas neutre.
    Cet avis disant qu'on doit systématiquement ne pas regarder ce qui est 'awra – que le regard soit neutre ou habité par l'instinct –, cependant que pour ce qui n'est pas 'awra, on doit ne pas le regarder si le regard est habité par l'instinct, mais on peut le regarder tant que le regard est neutre… cet avis est celui des savants al-Qâdhî 'Iyâdh, Ibn Battâl, at-Tabarî, al-Baghawî, Ibn 'Abd il-barr… (cf. Tahrîr ul-mar'a, tome 4).


    Deux raisonnements de certains musulmans :

    1) Certains musulmans disent de l'avis permettant à la musulmane de ne pas se couvrir le visage qu'il constitue un avis nouveau, inconnu des savants des siècles précédents de l'islam.
    Ceci est cependant erroné car, parmi les savants du passé, sont d'avis que la musulmane peut ne pas couvrir son visage : des commentateurs du Coran tels que at-Tabarî, al-Baghawî, al-Qurtubî, al-Jassâs, Ibn ul-Arabî, Abû Hayyân al-Andalûsî… des commentateurs de Hadîths tels que Ibn Battâl, al-Qâdhî 'Iyâdh… des juristes tels que Abû Hanîfa, Mâlik, ash-Shâfi'î, Ahmad (d'après un des avis qui sont rapportés de lui), al-Awzâ'î, Abû Thawr, ath-Thawrî, al-Muzanî (cf. Tahrîr ul-mar'a, tome 4). Il n'est pas question ici de vouloir dire que la quantité est un poids dans l'argumentation, il est question de montrer qu'il est erroné de dire qu'il s'agit d'un avis inconnu des savants des premiers siècles de l'islam. Je voudrais préciser ici que mon professeur Cheikh Sher Alî était aussi de l'avis que le voile du visage n'est pas obligatoire.

    2) Certains musulmans disent que tout ce qui vient d'être dit est vrai, tant au niveau des sources musulmanes que des avis de savants des siècles précédents : le port du voile du visage pour les musulmanes autres que les épouses du Prophète n'était pas obligatoire. Cependant, poursuivent-ils, aujourd'hui la situation actuelle de décadence spirituelle demande à ce que les muftis, par avis juridique (fatwa) se basant sur les principes mêmes des sources musulmanes, déclarent obligatoire par mesure de précaution (sadd ul-bâb) le voile du visage.
    Ce constat de décadence spirituelle et morale est tout à fait vrai. Et le raisonnement qui s'appuie dessus est tout à fait respectable, le principe de la fatwa par principe de précaution quand il y a un fondement (sadd ul-bâb) étant possible en jurisprudence musulmane. Néanmoins, nous lui préférons le raisonnement suivant, écrit par al-Albânî : "Même si je suis moi aussi très chagriné par ce que je vois de manque de pudeur généralisé, je ne pense pas que la solution soit de rendre obligatoire aux musulmanes le fait de cacher leur visage. Car chez la grande masse des musulmanes, ici en Syrie, ou en Egypte, ou ailleurs, le délaissement de l'attachement à l'éthique musulmane est flagrant. Dans pareil cas, rendre obligatoire à cette masse des musulmanes le port du voile sur le visage alors qu'elle ne sont même pas prêtes à se couvrir la chevelure, le cous et les épaules en public (ce que les sources musulmanes ont pourtant rendu obligatoire et qui ne fait pas l'objet d'opinions divergentes), est quelque chose que ne devraient pas faire celui et celle qui ont compris un tant soit peu les sources musulmanes. En effet, tant le principe islamique de la recherche de la facilité dans le cadre du permis ("yassirû wa lâ tu'assirû") que l'exemple prophétique de la nécessité d'une éducation profonde et durable nous montrent qu'il nous faut agir dans le cadre du permis, mais avec douceur et non avec dureté.
    Tous ceux qui sont préoccupés de la situation des musulmanes devraient faire deux choses :
    1. se préoccuper sérieusement de donner à ces musulmanes une éducation qui puisse être digne de porter le qualificatif "islamique" : former leur esprit, leur cœur, empêcher autant que possible les influences néfastes présentes partout aujourd'hui de faire leur effet sur elles ;
    2. leur rappeler les enseignements des sources musulmanes"
    (d'après Hijâb ul mar'a al muslima, pp. 7-9 ; j'ai synthétisé le propos).


    Synthèse de la réponse :

    Les sources musulmanes n'ont pas rendu le fait de se voiler le visage obligatoire en soi pour la musulmane (exception faite des épouses du Prophète, sur qui cela était effectivement obligatoire).
    En revanche, elles ont rendu obligatoire pour la musulmane (sauf cas d'exception majeure, comme par exemple une opération chirurgicale) de couvrir son corps sauf son visage et ses mains devant tout homme qui n'est ni son mari, ni un proche parent avec qui elle ne peut jamais se marier.
    Ce caractère obligatoire ne doit cependant pas faire oublier les principes islamiques d'éducation dans la foi et de progressivité dans le rappel, qui font qu'il ne faudrait pas se dépêcher de rappeler cette obligation dès le premier rappel adressé à une sœur, fût-elle éloignée de la foi et de la pratique de sa religion. Il faudrait privilégier au contraire la compréhension des priorités, l'éducation dans la foi, et le rappel progressif.

    Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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