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NASRI CHELBI & Les Femmes Voilées
7 février 2008

Se référer aux textes et considérer le contexte

A entendre certains musulmans aujourd'hui, tout doit être pratiqué exactement comme à l'époque du Prophète et de ses Compagnons, depuis la forme à donner aux sandales jusqu'à la brosse à dents. A l'inverse, d'autres musulmans, eux, soutiennent que le porc peut être rendu permis (celui d'aujourd'hui étant "plus sain que celui que les Arabes connaissaient"), que le foulard porté sur la chevelure n'est plus une obligation pour la musulmane, etc.

Qui écouter ? Comment faire pour rester fidèle à l'authenticité tout en vivant la contemporanéité ?
Voici quelques repères permettant, de l'intérieur même des sources musulmanes, une prise en compte des contextes différents.

1) Il n'y a pas de texte traitant explicitement de chaque acte de la vie. Or, en l'absence de texte, c'est le principe de permission originelle (fi-l-'âdât) qui prévaut :

Contrairement au domaine de ce qui est purement cultuel – où on ne peut rien faire qui n'a pas été fait par le Prophète –, dans le domaine des affaires mondaines c'est la règle de la permission qui est première. Il n'y a ici pas besoin de l'existence d'un texte du Coran et de la Sunna pour permettre mais au contraire pour interdire ou pour rendre obligatoire. Voilà donc la première dimension de la possible prise en compte du contexte, puisqu'il s'agit d'adopter des nouveautés.

Il ne faudrait cependant pas penser que des principes et règles de l'islam n'ont aucune place ici, puisque – nous l'avons vu – les enseignements de l'islam sont globaux (shâmil). En fait, il s'agira d'intégrer fidèlement aux éléments contemporains les règles et les principes présents dans le Coran ou la Sunna… de mêler aux nouvelles formes créées au fil du temps par les expériences des hommes, les règles et les principes apportés par le Prophète à son époque. Et ainsi, des choses qui n'avaient pas cours à l'époque du Prophète pourront être adoptées par les musulmans, mais à condition que ces derniers tiennent compte à leur sujet des limites (matérialisées par ce qui est "interdit" et "déconseillé") et des orientations (mises en valeur par ce qui est "obligatoire" et "recommandé") apportées par la Sunna. Ces limites et ces orientations sont soit disponibles dans des textes explicites, soit dans un principe juridique extrait de ces textes.
Le Prophète avait ainsi questionné Mu'âdh qu'il envoyait comme juge au Yémen : "Selon quoi jugeras-tu lorsque le besoin s'en présentera ? – Selon le Livre de Dieu, avait répondu Mu'âdh. – Et si tu ne trouves pas (de solution explicite) dans le Livre de Dieu ? – Je jugerai alors selon les Hadîths du Messager de Dieu, avait répondu Mu'âdh. - Et si tu ne trouves pas (de solution explicite) dans les Hadîths du Messager de Dieu ? – Je ne manquerai alors pas de faire un effort de réflexion (ijtihâd) pour formuler mon opinion, avait répondu Mu'âdh." Sur quoi le Prophète avait manifesté son approbation en ces termes : "Louange à Dieu qui a guidé le messager du Messager de Dieu pour ce qu'agrée le Messager de Dieu" (La chaîne de transmission de ce Hadîth, rapporté par at-Tirmidhî et Abû Dâoûd, est faible. Son contenu est cependant approuvé par les dires et la pratique des Compagnons du Prophète : cf. A'lâmul Muwaqqi'în, Ibn ul-Qayyim, tome 1 pp. 49-50.)

Le Prophète lui-même avait fait allusion à l'utilisation de ce genre de cause juridique rendant possible le raisonnement par analogie. Ainsi, Omar ibn ul-Khattâb vint un jour le trouver pour le questionner au sujet de la validité de son jeûne alors qu'il avait embrassé sa femme. Il lui dit : "Messager de Dieu, j'ai fait aujourd'hui quelque chose de grave : j'ai embrassé alors que je jeûnais". Le Prophète lui répondit : "Que se passerait-il d'après toi si tu t'étais gargarisé la bouche avec de l'eau pendant ton jeûne ? – Cela n'aurait pas affecté (la validité de mon jeûne), répondit Omar. – Eh bien, quoi d'autre ?" (rapporté par Abû Dâoûd, n° 2385). Avaler de l'eau annule le jeûne. Prendre de l'eau dans sa bouche, c'est se rapprocher du fait d'avaler de l'eau ; mais cela n'annule pas le jeûne tant que l'on n'avale pas cette eau. De même, avoir un rapport intime annule certes le jeûne ; cependant, embrasser sa femme c'est se rapprocher du fait d'avoir un rapport intime ; mais cela n'annule pas le jeûne tant que l'on n'a pas concrètement ce rapport. La mise en analogie est donc claire : se rapprocher de la cause qui annule le jeûne n'est pas suffisant pour annuler le jeûne. Voilà le Prophète ayant recours à la mise en exergue du principe commun pour montrer la communauté de la règle.
Bref, les textes du Coran ou des Hadîths ("man'sûs" ou "mantûq bih") communiquent des règles : des obligations, des recommandations, des permissions, des caractères "déconseillé", et des interdictions. Or, le Coran et les Hadîths ne communiquent pas, ainsi, seulement la lettre de ces règles particulières, mais, au-delà, les causes qui en commandent l'application. Toute règle ayant été formulée à propos d'un acte de l'époque du Prophète ne l'est donc que parce que cet acte renferme une "cause juridique" (en droit musulman : "illa"), qui est à la base de cette règle. Dès lors, la règle qui s'applique à cet acte stipulé dans un texte du Coran et des Hadîths ("man'sûs" ou "mantûq bih") s'applique également à l'acte dont ces deux sources ne disent rien ("maskût anh") mais où est présente la même cause juridique ("illa") que celle qui commande l'acte stipulé. L'absence de toute cause juridique (illa), en revanche, laissera cet acte "sous silence" demeurer dans la permission originelle s'il relève du domaine de ce qui n'est pas purement cultuel, et ce même si le Prophète ne l'avait pas fait à son époque.

2) Quand il y a des règles détaillées, certaines sont sujettes à plusieurs interprétations :

Une règle se rapportant à un sujet donné trouve son origine dans un texte du Coran ou des Hadîths (parfois directement, d'autres fois indirectement, comme nous venons de le voir à propos des causes juridiques, extraites des textes). Or, certains textes font depuis très longtemps l'objet de différences d'interprétation. Sur ce site par exemple, vous pourrez voir et comprendre, par rapport à plusieurs points, de telles interprétations différentes. Dès lors, les spécialistes du droit musulman peuvent être amenés à donner la fatwa sur un des différents avis existant, en fonction du contexte dans lequel se trouvent les musulmans.
Il ne s'agit assurément pas de donner la fatwa sur n'importe lequel de ces avis, car ce serait la porte ouverte au laxisme (tatabbu' ar-rukhas). Comment font les savants ? Les savants qui ne se réfèrent pas à une école juridique donnée (mais sont ghayr mutamadh'hib) font ainsi : ils donnent priorité aux textes du Coran et de la Sunna et évitent donc les avis où le savant s'est trompé parce qu'un Hadîth ne lui était pas parvenu ; puis, là où une pluralité des interprétations est réellement possible par rapport aux textes présents, ils font des recherches poussées et approfondies, passent en revue les argumentations des différents avis avant de donner la fatwa sur un de ceux-ci. Quant aux savants qui se réfèrent à une école juridique donnée (et qui sont donc mutamadh'hib), ils ont eux aussi des muftis donnant – occasionnellement et après recherches poussées – la fatwa sur l'avis de savants d'autres écoles : Cheikh Khâlid Saïfullâh en est un parfait exemple au sein de l'école hanafite.

3) Parfois les textes communiquent non pas des règles détaillées mais des principes généraux :

Enfin, autre facteur permet une prise en compte du contexte : certains enseignements de l'islam relèvent non de règles détaillées mais seulement de principes généraux. Dès lors, l'application du principe général prendra forcément en compte le contexte.
Un exemple très simple à ce sujet est la nécessité de la consultation (shûrâ) : il s'agit d'un principe dont les formes ne sont pas détaillées dans les textes du Coran et des Hadîths. Il peut dès lors s'agir d'une consultation informelle ou d'une consultation dont les participants sont désignés par ceux qu'ils représentent, pourvu qu'aucune règle de l'islam ne soit transgressée. Le principe du shûrâ peut ainsi s'adapter au contexte des sociétés tribales comme à celui des sociétés développées.

3') Certains textes donnent en apparence une règle détaillée, mais celle-ci est relative à un contexte particulier et c'est donc le principe général qu'il faut chercher :

Au sujet de ces règles présentes dans les textes du règles, peut-on les relativiser ou doit-on les garder de façon absolue ? Il est sûr que certaines paroles et certains gestes du Prophète sont à comprendre dans un contexte particulier. Ainsi, quand il disait : "Wa lâkin sharriqû aw gharribû", "Alâ inna-l-quwwata ar-ram'y", il est certain que, au-delà de la littéralité de la règle, c'est le principe qui est à prendre en compte. De même, à propos de la "jalsat ul-istirâha" que faisait le Prophète pendant la prière, certains savants (comme Abû Hanîfa et Ahmad – selon un des deux avis relatés de lui) pensent que cela est dû à une fatigue et ce que cela n'est pas systématiquement à observer lors de la prière.

La question qui se pose dès lors est : où peut-il y avoir changement au nom de l'adaptation au contexte, et où ne peut-on faire de changement au nom de l'authenticité de l'islam ?
Pour éviter au maximum le risque de relativiser ce qui ne doit pas l'être, les savants musulmans ont recours à une double méthode… D'une part ils se réfèrent aux textes de leurs sources, le Coran et les Hadîths. Mais d'autre part, ils se réfèrent également aux interprétations des savants qui les ont précédés, et surtout à ceux des premiers siècles de l'Islam. Cette double référence – les textes des fondements et la jurisprudence – leur permet d'éviter deux écueils :
1) Quand les savants considèrent les interprétations des savants les ayant précédés, ils le font en considérant non pas que ces interprétations forment une source en soi, mais qu'elles permettent de s'orienter dans sa lecture des textes du Coran et des Hadîths. Prendre en compte ces interprétations permet en effet aux savants d'aujourd'hui d'éviter de relativiser ceux des textes du Coran et des Hadîths qui ne doivent pas l'être, puisqu'ils se disent que tout texte à propos duquel les savants ont été unanimes durant ces siècles est forcément clair et ne peut pas être relativisé (catégorie A1 et A2).
2) Mais, parallèlement, afin d'éviter le laxisme que constituerait le fait de rechercher systématiquement, pour chaque point de droit, l'avis le plus laxiste qui soit (cela contredisant-il un texte authentique et clair qui semble n'être pas parvenu au savant auteur de cet avis) (catégorie B1), les savants donnent priorité aux textes du Coran et des Hadîths par rapport aux avis des savants. C'est à l'intérieur du cadre de ces textes qu'ils considèrent les différents avis existant sur une question donnée.
Par contre, à propos des points qui sont sujets à plusieurs interprétations chez les savants des premiers siècles eux-mêmes, et dont la règle est présente dans un texte qui, de lui-même, fait l'objet d'interprétations différentes (catégorie B2), les savants peuvent être amenés à donner un avis juridique (fatwa) sur l'avis étant le plus adapté au contexte.

4) Les cas de nécessité (dharûra, ik'râh) :

Une nécessité peut exister dans un lieu et un temps donnés qui entraînent une fatwa, un avis circonstancié, qui va établir, à propos de quelque chose de normalement interdit, une dérogation liée à cet espace à et à ce temps dans le cadre de la mesure de la nécessité. Un exemple : le recours aux assurances commerciales n'est pas autorisé en islam. Mais les musulmans vivant dans des pays où le recours à de telles assurances est obligatoire pour l'habitation et la conduite des voitures y ont recours : il s'agit d'une contrainte. Ils n'ont cependant recours qu'au degré minimal de telles assurances.

Wallâhu A'lam (Dieu sait mieux).

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